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CONTINUER L’ACTIVITÉ…

Au milieu de la guerre sanitaire que livrent actuellement le gouvernement et les acteurs du monde sanitaire et médico-social, travailler est soit matériellement impossible soit socialement et techniquement de plus en plus compliqué.

Le fameux plan de continuité d’activité, outil classique de la gestion de crise, devient un instrument capital.

Il permet l’analyse le plus en amont possible des risques majeurs susceptibles de compromette l’activité, la définition des plans de prévention et d’action indispensables, l’identification et la mobilisation des ressources clés pour l’activité. Il doit préserver la capacité de l’entreprise à maintenir une communication interne et externe, réactive pertinente et efficace.

Au-delà de l’urgence, la gestion courante de l’activité face aux risques de santé au travail que génère le coronavirus pose une équation délicate à résoudre : concilier l’obligation absolue de préserver la santé des collaborateurs et de leur famille et ne pas compromettre à moyen terme et long terme l’avenir des entreprises et de leurs clients.

Gérer les déplacements

Pour les entreprises dont l’ activité impose une présence physique des collaborateurs et des déplacements professionnels , le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 précise la situation.

Sont admis les déplacements en dehors du domicile notamment pour :

  • les trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
  • les Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle…

Les employeurs devront donc fournir à leur collaborateur un document permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions et le salarié devra être porteur de l’attestation sur l’honneur.

Congés et  RTT

Les communications du ministère de l’emploi précisent clairement les possibilités limitées de l’employeur d’agir sur les congés déjà posés pour faire face à une diminution d’activité. Il sera également rappelé ici qu’en fonction des dispositions de l’accord d’aménagement du temps de travail, les entreprises qui en disposent peuvent planifier unilatéralement une partie des « JRTT » pour faire face à une diminution de l’activité.

Rémunération d’activité et temps de travail : pensez à l’accord de performance collective

Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi, un accord de performance collective peut:

  • aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition;
  • aménager la rémunération;
  • déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Sous réserve d’un dialogue social constructif et de contreparties après retour à une meilleure situation, il permettra aux entreprises ne pouvant pas recourir à l’activité partielle d’adapter le temps de travail et de moduler la rémunération (fixe ou seulement variable) en fonction des aléas de l’activité.

Droit de retrait

Le code du travail rend illicite toute sanction ou retenue sur salaire opéré par l’employeur à « l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux. » (article L.4131-3 du code du travail).

En présence du risque de condamnation au coronavirus sur le lieu de travail ou en clientèle, le droit de retrait est donc conditionné à la démonstration de l’existence d’un motif raisonnable…

Les juges devront très prochainement traiter ce sujet. En dépit des cas que le Ministère de l’emploi ne considère pas comme motif raisonnable, la question dépend en réalité des conditions réelles de l’activité.

Le respect sans faille des mesures obligatoires de protection de la santé au travail est en tout état de cause impératif : recours au télétravail, mise à disposition en quantité suffisante des équipements de protection individuelle prescrits, respect des normes sanitaires collectives, mise à jour obligatoire du document unique d’évaluation des risques professionnels…).

La communication écrite des précautions élémentaires à respecter pourra être confortée par l’organisation au sein de chaque unité de travail par petit groupe et dans un lieu adapté d’une réunion -sécurité formalisée.

Soyons résilients ! Bon courage à toutes et à tous !

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

N °1473 du 23 au 29 mars 2020 Entreprise & Carrières

AFFAIRE FRANCE TELECOM : DE LA PERFORMANCE AU HARCÈLEMENT COLLECTIF

Les nouvelles orientations stratégiques ou la dégradation des performances conduisent souvent les entreprises à adopter des politiques d’optimisation des coûts. La réduction des effectifs est soit un effet collatéral d’une série de mesures économiques censées redresser les performances ou le principal levier d’économie. Dans ce dernier cas, il est alors vite arrivé que ces plans dits de performances entraînent une dégradation illicite des conditions de travail et induisent des pratiques managériales toxiques pour contraindre au départ ou à la mobilité des salariés.

La déflation à marche forcée des effectifs de l’entreprise si elle est organisée dans ces circonstances caractérise un harcèlement moral collectif sans qu’il soit nécessaire de reconnaître des pratiques harcelantes individuelles. C’est là le principal apport de la décision du Tribunal correctionnel de Paris rendue le 20 décembre 2019 après 4 ans d’instruction.

Qu’est-ce que le harcèlement moral institutionnel ?

Selon le Tribunal, les éléments constitutifs du harcèlement moral institutionnel sont notamment caractérisés par l’utilisation des leviers suivants :

  • la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs ;
  • la modulation de la rémunération de cadres d’un certain niveau en faisant dépendre, pour partie, la part variable de l’évolution à la baisse des effectifs de leurs unités ;
  • le conditionnement des esprits des « managers » au succès de l’objectif de déflation lors de leurs formations.

Il est aussi relevé sur la période 2007-2008 que les stratégies de déflation à marche forcée de l’effectif étaient envisagées comme une des seules conditions de succès du plan stratégique de l’entreprise. Partant, l’accélération de ce plan, la précision des objectifs de départs fixés et le suivi de la réalisation de ces quotas révèlent un objet manifestement illicite. La dégradation des conditions de travail apparait ainsi être la conséquence logique et inévitable de l’application d’un plan stratégique aux objectifs manifestement irréalistes (22 000 départs soit plus de 15 % des effectifs et 10 000 mobilités).

Les peines prononcées

Le harcèlement moral institutionnel, lorsqu’il est avéré, expose l’entreprise mais aussi ses dirigeants à des condamnations qui obéissent au principe fondamental de la responsabilité pénale personnelle.

Selon le Tribunal, la responsabilité pénale individuelle des dirigeants « repose, en réalité, sur une décision partagée, sur une mise en œuvre coordonnée, sur un suivi vigilant, des agissements harcelants dont l’objet était la dégradation des conditions de travail de tous les agents de France Télécom pour assurer et hâter, accélérer, la réduction recherchée des effectifs de l’entreprise ».

Ainsi le fait de ne pas avoir la qualité d’initiateur d’une politique illicite de gestion des ressources humaines ayant conduit à une pratique de harcèlement institutionnel n’est pas une cause d’exonération de responsabilité pénale. Tout membre du comité de direction qui met en exécution de telles politiques peut être retenu dans les liens de complicité du harcèlement. Tel est le sens du jugement du tribunal qui a condamné des dirigeants mais aussi des hauts cadres à divers niveaux pour complicité (le Directeur des ressources humaines France et la Directrice du management des compétences et de l’emploi, Directeur des actions territoriales et un Directeur régional).

Les peines prononcées contre les personnes physiques vont jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende. Orange S.A. condamnée à 75 000 d’amende n’a pas fait appel de sa condamnation. Les dommages et intérêts versés aux victimes et leurs héritiers sont situés entre 75 000 et 10 000 € en moyenne.

L’ordonnance souligne que « le Comité de direction générale a été associé à cette décision et les membres n’ont émis aucune protestation et, au contraire, ont fait leur cette politique ».

La lecture à froid de ce jugement qui comporte plusieurs éléments accablants nous rappelle que la conduite à tout prix d’une stratégie sans réflexion préalable approfondie sur les impacts sociaux réels peut rapidement mener à la déraison collective.  

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

du 27 janvier au 2 février 2020  Entreprise & Carrières

UN NOUVEAU REGARD SUR LA GESTION DE CARRIÈRE DES AGENTS PUBLICS

«… favoriser la fluidité des carrières entre l’emploi public et le secteur privé tout en renforçant les garanties relatives au recrutement et aux conditions d’emploi des agents contractuels ». Tel est l’objectif assigné à la rupture conventionnelle mise en place dans les 3 versants de la fonction publique (État, Collectivités, Hospitalière) à compter du 1er janvier 2020 par la loi n°2019-828 du 6 aout 2019.

S’il est un territoire où les lignes de fractures bougent c’est bien celui de la transformation de l’action publique.

Le niveau d’immixtion du droit du travail dans les réformes récentes du droit des agents publics est en effet surprenant.

L’orthodoxie juridique et les spécificités du statut de la fonction publique liées à l’exercice des prérogatives de la puissance publique avait fini par limiter considérablement l’évolution de carrière des agents et leur mobilité professionnelle vers le secteur privé.

L’apparent cloisonnement de cultures et les profondes différences du statut social était un frein supplémentaire.

Associée au développement annoncé des plans de départ volontaires, la mise en place de la rupture conventionnelle individuelle répond à un double objectif : favoriser les passerelles entre public et privé, accélérer le mouvement de restructuration des effectifs publics et de refondation du contrat social.

La multiplication du recours aux agents contractuels (qui représentait près de 18% des effectifs de la fonction publique en 2016) , sous contrat à durée déterminée ou indéterminée, a été un premier pas.

Les nouveaux modes de gestion et de financement (partenariat public privé) des services publics et l’encadrement des conséquences sociales en cas de transfert d’activité entre public et privé (article L.1224-3 du code du travail) ont accompagné ce mouvement.

L’absence de mode négocié de départ restait un frein. Le statut des fonctionnaires ne connaissait jusqu’alors que 4 cas de cessation définitive d’activité : retraite, démission, licenciement, révocation. Le départ des agents contractuels de droit public ne pouvait quant à lui être organisé que sous la forme d’une démission ou d’un licenciement.

Du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025, les employeurs et les agents publics pourront désormais « négocier » une rupture conventionnelle. Ce nouvel instrument juridique va ainsi permettre de sortir de la logique unilatérale qui prévalait jusqu’à présent et conduisait souvent soit à l’immobilisme, soit à la brutalité ou au développement de formes toxiques de management.

Le public concerné par le nouveau dispositif de rupture conventionnelle « secteur public » est large. Seuls sont exclus les stagiaires de la fonction publique et les agents ayant atteint l’âge de la retraite.

La procédure de rupture conventionnelle reprend l’ossature du dispositif issue de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 applicable au privé avec quelques singularités :

  1. Information à l’initiative de l’une des parties par lettre recommandée avec accusé réception du souhait de solliciter une rupture conventionnelle ;
  2. Entretien dans un délai de 10 jours francs à 1 mois maximum pour discuter les motifs de la demande, la date envisagée de rupture, le montant de l’indemnité et ses conséquences ;
  3.  Signature du formulaire de rupture conventionnelle à minima dans les 15 jours francs suivants l’entretien (le modèle sera prochainement défini par arrêté ministériel) ;
  4. Délai de rétractation de 15 jours francs pour chacune des parties ;
  5. Rupture définitive du contrat de l’agent contractuel à durée indéterminée ou radiation des cadres pour les fonctionnaires à la date convenue entre les parties.

L’agent a la faculté de se faire assister lors des entretiens par un conseiller désigné par une organisation syndicale de son choix en informant son employeur.

En pratique, le processus complet de l’envoi de la lettre de demande jusqu’à la cessation définitive des fonctions prendra minimum 35 jours.

Contrairement à la rupture conventionnelle « secteur privé » aucun processus d’homologation par l’administration du travail n’est prévu. La procédure est détaillée par le décret n°2019-1593 du 31 décembre 2019.

Sur le plan de l’indemnité, son montant minimal est fixé par paliers progressifs en fonction de l’ancienneté (d’ ¼ de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans à 3/5ème de mois de salaire à partir de 20 ans). Un montant plafond de 1/12ème de la rémunération brute annuelle a été institué (décret n°2019-1596 du 31 décembre 2019).

Pour être pleinement efficace ce dispositif novateur et bien encadré nécessitera cependant qu’une véritable culture de négociation se construise au sein de la fonction publique.

Le Parlement devrait se livrer à une première évaluation de l’efficacité et du succès du dispositif à l’issue de la période d’expérimentation en 2026.

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

 24 février au 1 mars 2020 Entreprise & Carrières

HARCÈLEMENT MORAL ET OBLIGATION DE SÉCURITÉ : DEVOIR DE PRÉVENIR, D’AGIR MAIS AUSSI D’ENQUÊTER !

Qu’il s‘agisse de leurs activités courantes ou exceptionnelles, la plupart des dirigeants craignent d’exposer leurs équipes à des risques professionnels sans pouvoir les identifier ou disposer des mesures de prévention ou de protection efficaces.

La révolution tertiaire a pourtant multiplié les facteurs d’exposition à ces risques. Vitesse et technologie ont en effet sensiblement transformé la nature des risques et des réponses à apporter en matière de prévention des risques professionnels.

Selon Paul Virilio, « La liberté de choix et d’intelligence en commun est contestée par l’exigence, en tous domaines, de réponses immédiates. Désormais, la vitesse est vraiment devenue notre milieu, nous n’habitons plus la géographie mais le temps mondial au point d’en éprouver presque un malaise physique. » ( Paul Virilio, « L’art du moteur », éditions Galillée 1993).

Bien qu’ils paraissent moins spectaculaires que les dommages physiques, les risques psychosociaux sont tout autant préjudiciables aux salariés et aux collectifs de travail.

La part d’interprétation subjective inhérente aux formes de violences morales trouble la perception du risque et de la responsabilité de l’entreprise et paralyse souvent  l’action.

Or, en matière de santé au travail, cette responsabilité est assortie d’une obligation de résultat qui impose à l’employeur de prendre toutes « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.» (article L.4121-1 du code du travail).

En cas d’incident au titre duquel la responsabilité de l’entreprise est invoquée, il lui incombe de démontrer que cet évènement est étranger à tout manquement à son obligation de sécurité (Cass.soc. 28/05/2014, n°13-12.485).

La charge de la preuve repose donc principalement sur l’employeur et le champ de mise en cause de son obligation de sécurité est de plus en plus vaste.

En matière de harcèlement moral, le régime diffère quelque peu car le législateur a imposé au salarié victime  de présenter les éléments matériels laissant supposer l’existence d’un harcèlement. C’est ensuite à l’employeur de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que le comportement incriminé est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass.soc.08/06/2016, n°14-13.418).

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

La prévention du harcèlement moral fait pour autant partie du plan général de prévention que l’employeur doit mettre en place au titre de son obligation de sécurité à l’instar des autres formes de violences au travail.

Ce plan ne se limite ni à l’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels, ni à la mise en place d’une procédure spécifique d’alerte (Cass.soc.01/06/2016 n° 14-19.702).

Pour satisfaire à son devoir de prévention, l’employeur doit en effet  justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir la situation au titre de laquelle la santé et la sécurité du collaborateur serait menacée.

Sur ce dernier point, l’information et la formation du personnel sont retenus comme un des indicateurs justifiant  l’absence de manquement par l’employeur à son obligation de sécurité. En matière restructuration, la mise en place d’« un plan global de prévention des risques psychosociaux comportant notamment un dispositif d’écoute et d’accompagnement ainsi qu’un dispositif d’évaluation des conditions de vie au travail et de formation des managers » a pu par exemple être jugé suffisant (Cass. soc. 22/10/2015 n° 14-20.173).

Outre la prévention, l’employeur qui « informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser », est réputé avoir satisfait à ses obligations (Cass.Soc.05/10/ 2016, n°15-20.140).

Les juges appellent donc l’employeur à un devoir d’action mais surtout d’efficacité. Les mesures prises doivent permettre de protéger la victime des faits rapportés et faire cesser effectivement la situation de risque.

Obligation de prévention, d’action mais également d’enquête.

C’est l’apport récent de la jurisprudence dans le cadre d’une plainte interne pour harcèlement moral d’un salarié.

L’entreprise est sanctionnée pour avoir conditionné l’ouverture d’une enquête interne à la preuve par le salarié de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. L’entreprise est condamnée après qu’il ait été relevé que l’obligation générale de sécurité impose qu’une enquête interne soit engagée même si les conditions spécifiques de sa mise en cause au vu de l’interdiction des agissements de harcèlement moral n’étaient pas réunies (Cass.soc. 27/11/2019, n°18-10.551).

Quel que soit la nature des faits, l’employeur est donc tenu d’engager une enquête interne sur l’existence d’un risque ou la survenance de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité. La conformité de votre processus d’enquête interne et de gestions des risques psychosociaux devra être analysé à la lumière de ces jurisprudences.

N° 1460/1461 du 16 décembre 2019 au 5 janvier 2020 –

Entreprise & Carrières

LES INNOVATIONS DE LA LOI PACTE ET PLFSS EN MATIÈRE SALARIALE

À côté de la rémuné-ration, du temps de travail et de l’égalité homme-femmes, le partage de la valeur ajoutée s’est invité parmi les thèmes de négociations obligatoires. Chaque entreprise ayant une ou plusieurs sections syndicales d’organisation représentatives doit chaque année, en l’absence d’accord, ou au moins tous les quatre ans, ouvrir des négociations sur ces sujets. L’incitation au partage de la valeur ajoutée est une préoccupation croissante des pouvoirs publics afin d’encourager les entreprises, y compris celles de moins de 50 salariés, à recourir aux outils d’épargne salariale, dans un cadre social et fiscal sécurisé. Les obstacles liées à la capacité de négociation, la complexité des mécanismes d’exonération, sans parler des changements réglementaires incessants, ne facilitent pas la tâche des employeurs. La difficulté de sortie partielle ou anticipée de ces dis-positifs est parfois contradictoire avec le souci d’amélioration immédiate du pouvoir d’achat des collaborateurs. Les changements introduits par la loi Pacte du 23 avril 2019 ainsi que ceux du projet de loi de financement de la

sécurité sociale (PLFSS) méritent donc d’être soulignés.

PRIME EXCEPTIONNELLE DE POUVOIR D’ACHAT (PEPA) L’article 7 du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit la reconduction de ce dispositif plébiscité par les entreprises en 2019. Deux millions de salariés avaient bénéficié de ce dispositif en mars 2019. Le montant moyen de la prime atteignait 450 euros et 37% des entreprises ont versé une prime de l000 euros correspondant au plafond d’exonération. Comme en 2019, la Pepa 2020 serait totalement exonérée (impôts, charges sociales, CSG-CRDS) jusqu’à 1000 euros pour les salariés gagnant moins de trois fois le Smic. Les conditions de mise en place seraient analogues à la Pepa 2019 (accord collectif ou décision unilatérale et information du comité social et économique). Quelques précisions apportées par le projet de loi distinguent cependant cette prime de la précédente : • Le versement serait unique-ment ouvert aux entreprises « mettant en œuvre un accord d’intéressement» à la date du versement de la prime;
• Le versement pourrait être effectué entre la date d’entrée en vigueur de la loi et

le 30 juin 2020 (au lieu du 31 mars précédemment). À noter que les accords d’intéressement conclus entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2020 pourront porter sur une durée inférieure à trois ans sans pouvoir être inférieur à un an.
LES PRINCIPAUX AMÉNAGEMENTS
EN MATIÈRE D’ÉPARGNE SALARIALE ET D’ACTIONNARIAT SALARIÉ Les innovations suivantes devront être intégrées : • Possibilité de mettre en place des objectifs pluriannuels liés aux résultats ou aux performances de l’entreprise par une clause de l’accord d’intéressement;
• Instauration d’un intéresse-ment de projet permettant de définir un objectif commun à tout ou partie des salariés de l’entreprise;
• Relèvement du plafond individuel d’intéressement distribuable d’un demi au trois quarts du plafond annuel de sécurité sociale soit 30 393 euros (pour 2019); les exonérations fiscales liées aux primes versées sur le plan d’épargne salariale sont relevées proportionnellement;
• Garantie du bénéfice des exonérations fiscales liées à l’intéressement en l’absence d’ observations de l’administration dans les quatre mois suivants le dépôt de l’accord (par dérogation, demandes de modification des

clauses contraires à la loi possibles jusqu’au sixième mois); • Assouplissement des conditions d’attribution gratuite d’actions (assouplissement des règles de comptabilisation des 10 % du capital social attribuables en actions);
• Diminution du plafond de réduction du prix d’acquisition des actions dans le cadre d’une augmentation de capital par des collaborateurs ayant souscrit à un plan d’épargne entreprise (réduction possible de -30 % voire -40% selon les situations). À noter enfin, qu’en matière de participation, le montant de salaire servant de base à la répartition de la participation lorsque ce critère est retenu est désormais limité à trois plafonds annuels de sécurité sociale afin de favoriser une répartition plus équitable pour les moins hauts salaires.

LA CHRONIQUE JURIDIQUE

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

L’incitation au partage de la valeur ajoutée est une préoccupation croissante des pouvoirs publics

29 – ENTREPRISE & CARRIÈRES – N° 7447 DU 23 AU 29 SEPTEMBRE 2079

CONTRAT DE TRAVAIL ET CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS: LES PIÈGES À ÉVITER

La cohabitation entre l’urgence et les nécessaires adaptations économiques de l’entreprise aux évolutions de son marché et le respect des dispositions contractuelles est sou-vent peu aisée. Souvent précipités et mal préparés, les changements organisationnels d’ordre apparemment collectif (simple changement de rattachement hiérarchique ou profonde réorganisation) induisent très fréquemment une modification du contrat de travail.

En présence d’un changement du contrat de travail, le Code du travail prévoit une procédure lourde supposant l’accord préalable du salarié et un formalisme très strict qui est peu souvent anticipé dans la préparation des projets. La plu-part du temps,

LA CHRONIQUE JURIDIQUE

YVAN WILLIAM
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

il s’agit en effet d’une modification du contrat de travail que le juge considère basée sur un motif économique et qui impose à l’entreprise de mettre en œuvre la procédure décrite par l’article 11222-6 du Code du travail.

Si l’importance d’un accompagnement à la conduite du changement est désormais parfaitement prise en compte, les contingences imposées par le Code du travail et la jurisprudence en matière de modification des contrats de travail dans ce contexte sont moins bien intégrées. Elles ont pourtant très peu évolué dans le temps : envoi de la proposition écrite de modification par lettre recommandée avec accusé réception, délai de réflexion d’un mois sans qu’aucune modification ne puisse être engagée avant expiration du délai, motivation du changement …
À défaut de respect de la procédure, la modification du contrat de travail sera inopposable au salarié. Ce dernier même s’il continue le travail aux nouvelles conditions pourra à tout moment les contester. En cas de refus du collaborateur, l’employeur sera alors tenu de le licencier pour motif économique ou de renoncer. La procédure viciée à l’origine faute d’avoir respecté

préalablement la procédure de modification des contrats pour motif économique engagera alors l’entreprise dans un risque de condamnation certain en cas d’action judiciaire.Selon l’importance et les rai-sons du changement opéré, construire a posteriori un motif économique au sujet d’une réorganisation purement fonctionnelle pensée en dehors de toute nécessité économique sera un exercice compliqué. En effet, le licenciement doit dans ce cas reposer sur le motif avancé pour justifier la modification et non sur le simple refus du salarié (il devra donc justifier d’une des causes listées par l’article 11233-3 du Code du travail, difficulté économique, sauvegarde de la compétitivité … ). En matière de fusion, d’acquisition ou de changement de prestataires de services sur un marché justifiant le transfert automatique des contrats de travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a récemment de nouveau illustré ces principes. Dans cette affaire, l’employeur avait considéré que le changement de lieu de travail induit par la localisation de la nouvelle société qui avait fait l’acquisition de son activité et qui avait repris automatiquement les contrats

de travail pouvait s’affranchir des règles relatives à la modification des contrats pour motif économique. Dès lors il avait licencié les salariés refusant de changer de lieu en invoquant l’existence d’une clause contractuelle de mobilité. La Cour de cassation balaye l’argument:« … lorsque l’application de l’article 11224-1 du Code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer et, d’autre part, que la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique». Sans appel. I:examen attentif et méthodique de l’ensemble des impacts emplois et des modifications de l’environnement contractuel du salarié au sens large est donc indispensable à la réussite de tout projet d’adaptation. Même un simple changement d’ organigramme révèle souvent des effets induits directs ou indirects qu’il convient d’identifier : évolution du périmètre d’activité ou des fonctions, évolution du nombre de salariés à encadrer pour les managers concernés, impacts sur la rémunération variable ou l’organisation du temps de travail …

28 – Entreprise & Carrières – n° 7447 du 23 au 29 septembre 2079

DÉCOMPTE DU TEMPS DE TRAVAIL : QUE CONTRÔLER ET POURQUOI ?

On se souvient de l’onde de choc créé par les invalidations par les juges des dispositions relatives aux forfaits jours institués par plusieurs conventions collectives. Par effet domino, les conventions individuelles de forfait jours conclues en leur application avaient été annulées. Cette position était dictée par la nécessaire garantie du respect des durées maximales de travail et des temps de repos et de l’obligation de protection de la santé des salariés. La Cour de justice de l’Union européenne vient de rappeler récemment l’obligation des employeurs de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier. Cette jurisprudence appelle à nouveau la vigilance des DRH

la chronique juridique

Yvan William Cabinet d’avocats indépendants en droit social, Ancien DRH et directeur de projet en stratégie sociale

et des managers sur le suivi du temps de travail. A l’ère du tout numérique et du fait de l’extension de la notion de travail et de l’amplitude ho.raire qu’elle induit, opérer un contrôle fiable du temps de travail n’est pas une tâche aisée. L’émancipation présumée des salariés cohabite mal avec un suivi du temps de travail sou.vent assimilé par les collaborateurs à du « flicage ». Aux yeux de certains managers ou de sociétés ultra-connectées, ce questionnement sera sou.vent perçu comme induisant un contrôle excessif bridant la créativité et l’esprit d’entreprenariat souhaités. Pourtant, au-delà des apparences, la responsabilité pénale de l’entreprise est en jeu, et l’en.jeu financier que représente le juste suivi du temps de travail peut être majeur pour sa prductivité et sa compétitivité. Et la gestion de la durée et de la charge de travail peut être un levier de bien-être ou à l’inverse de souffrance au travail. En droit français, la durée journalière maximale de travail est de 10 heures et peut être portée à 12 heures dans certaines conditions. Hormis certaines règles ou situations spécifiques (travailleur de nuit, cadre dirigeant…), la législation européenne et le Code du travail imposent que l’employeur puisse garantir aux salariés le bénéfice d’une

durée de repos journalier de 11 heures consécutives et d’un repos hebdomadaire de 24 heures sans interruption. Pour le suivi, les salariés qui ne sont pas régis à un horaire collectif sont sou.mis à un décompte en heures du temps de travail qui doit être réalisé par l’employeur au moyen d’un système de dé.compte manuel, auto déclaratif ou automatisé. Selon les modalités d’aménage.ment du temps de travail concernées, les modalités de décompte de la durée du travail suivantes sont prévues par la loi :

Salariés non soumis à un ho.raire collectif : enregistrement quotidien des heures d’entrée et de sortie ou relevé des heures journalières accomplies ainsi qu’un récapitulatif hebdomadaire des heures de travail accomplies par chaque salarié;


Forfait jours : décompte annuel avec récapitulatif du nombre de journées ou de de-mi-journées travaillées. Le cumul d’heures supplémentaires accomplies depuis le dé.but de l’année doit également être réalisé pour les salariés dont la durée du travail se dé.compte sur la semaine. Pour les salariés dont le décompte s’effectue sur une période supérieure à la semaine, le total

d’heures travaillées à la fin de la période de référence est également annexé au bulletin de salaire. Des éléments relatifs au suivi du temps de travail doivent être également laissés à la disposition de l’inspecteur du travail à des fins de contrôle. L’absence de création de ces documents expose l’employeur à des peines d’amendes pénales. Le type de document et leur durée de conservation par l’employeur sont définis par le Code du travail. Enfin, s’agissant des outils de contrôle, si les modalités d’enregistrement des données sont réalisées automatiquement, le système mis en place doit être fiable et infalsifiable. Outre la badgeuse, d’autres modes numériques d’enregistrement des données peuvent être admis s’ils proposent des garanties de contrôle au moins équivalentes au support papier. L’utilisation des systèmes de géolocalisation n’est admise que si ce recours est le seul per.mettant d’assurer le contrôle de durée du travail et que la procédure préalable de mise en place de cette technologie a été respectée (information consultation des IRP…). Les données ainsi collectées ayant un caractère personnel, l’employeur devra respecter les nouvelles dispositions légales en matière d’informatique et de libertés.

28 – Entreprise & Carrières – n° 1438 du 24 au 30 juin 2019

MODIFICATION DE L’ORGANISATION DE L’ENTREPRISE : QUAND FAUT-IL CONSULTER LE CSE?

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Modification im- portante de l’or- ganisation d’une direction ou d’un service, projet d’acquisition ou de cession de filiale, modi- fication importante des struc- tures de production… la vie de l’entreprise est une succession d’évènements et de décisions susceptibles d’affecter l’orga- nisation économique ou juri- dique. Dans ce type de cas, le Code du travail commande à l’employeur d’informer et de consulter préalablement le CSE (article L.2312-8 du Code du travail). Lors de la réécri- ture des attributions du CSE, les exemples sur les situations concrètes dans lesquelles l’in- formation-consultation était requise ont été supprimés. Ces
cas demeurent néanmoins tou- jours valables (ancien article L.2323-33).
Dans les projets de réorgani- sation organisationnelle ou juridique d’une entreprise, la détermination du temps de la consultation du CSE est une va- riable qui constitue un des fac- teurs de succès et peut impacter significativement le calendrier prévisionnel et les risques. Disposer des bons paramètres dans un ensemble plus vaste devant intégrer le processus de décision propre à l’entreprise, les actes préparatoires néces- saires à l’analyse de faisabilité puis aux conditions de mise en œuvre et au financement, est primordial.
Quand informer
et consulter ?
« Les décisions de l’employeur sont précédées de la consulta- tion du comité social et écono- mique. » Ce principe de l’exer- cice des prérogatives du CSE devient un casse-tête lorsque les dirigeants le confrontent aux contraintes opérationnelles. Cette « décision » prend des formes parfois difficiles à iden- tifier selon la nature du projet, la culture d’entreprise, sa gou- vernance, son organisation… En pratique, il faut identifier le chemin critique, de la phase d’analyse du projet et des dif- férentes options envisagées qui ne nécessitent a priori pas d’information-consultation préalable jusqu’à l’approbation
par un organe dirigeant ayant autorité pour engager l’entre- prise et décider d’un scénario suffisamment déterminé dans son principe pour avoir une incidence sur l’organisation. Si postérieurement à cette déci- sion, des ajustements restent possibles, le CSE devra être préalablement informé et consulté. Dans un projet com- plexe à décision échelonnée, une information-consultation peut être obligatoire à chaque étape (chambre sociale de la Cour de cassation, 07/02/1996).
Comment prévenir les risques liés à un retard de l’information consultation ? Dans les opérations de fusion, d’acquisition ou de cession de filiale, cette question doit être posée dès le démarrage des travaux. Il s’agit d’un paramètre au même titre que le démarrage des audits, l’obtention d’un fi- nancement ou d’une autorisa- tion réglementaire. Sur le plan de la méthode, si des opérations ponctuelles structurantes sur le plan de l’organisation juri- dique ou économique sont sus- ceptibles de se répéter dans le temps, un accord collectif pourra définir les modalités de la consultation et des diffé- rentes étapes de ce processus lorsque les projets exigent une consultation (article L.2312-55, 2° du Code du travail).
Les risques sont suffisamment perturbants sur le bon déroule- ment d’un projet de ce type pour
les anticiper et devoir anticiper l’impact en termes de délai de mise en œuvre et de coûts in- duits. Le délit d’entrave au fonc- tionnement régulier du CSE du fait d’une absence d’information en temps utile est souvent pré- sent à l’esprit.
Les demandes en suspension du projet formé en référé pour contraindre l’employeur à en- gager la procédure d’informa- tion-consultation peuvent re- tarder de manière importante la mise en œuvre d’un projet. Cette action ne pourra néan- moins être engagée que s’il est démontré que le délai d’infor- mation-consultation applicable au projet concerné court tou- jours au regard de la date à laquelle la décision de l’entre- prise qui aurait dû faire l’objet d’une information-consultation préalable a été prise. À défaut, l’entreprise devra, en plus des incidences pénales éventuelles, réparer civilement cette viola- tion des prérogatives du CSE par le versement de dommages et intérêts.
Certains juges ont pu suspendre l’effet de la décision prise par l’entreprise voire l’annuler. Le Code de commerce prévoit toutefois la nullité des délibé- rations de l’Assemblée géné- rale appelée à délibérer sur des modifications de l’organi- sation économique ou juridique de l’entreprise à défaut d’avis rendu par le comité d’entreprise (article L.225-121 du Code de commerce).

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28 – Entreprise & Carrières – n° 1434 du 27 mai au 2 juin 2019

la chronique juridique

Yvan William

Cabinet d’avocats indépendants en droit social, Ancien DRH et directeur de projet en stratégie sociale

NÉGOCIER LE FONCTIONNEMENT DU DIALOGUE SOCIAL DANS L’ENTREPRISE

La rénovation du modèle social français annoncée devait permettre de trouver les solutions innovantes pour articuler performance sociale et performance économique.

Les ordonnances Macron ont de fait mis le dialogue au coeur du dispositif de transformation social et proposées des instruments juridiques permettant un dialogue social renforcé entre les acteurs directement concernés au plus près du terrain dans un cadre plus souple. Encore faut-il s’en emparer…

Les DRH placent le développement d’un bon dialogue social avec les partenaires sociaux en tête de leurs préoccupations (« Radioscopie des DRH », Baromètre Cegos avril 2019).

Le saut qualitatif attendu par tous en la matière est à portée de main. Je vous propose un rapide tour d’horizon sur les avancées permises par la négociation collective en matière d’information consultation depuis le 24 septembre 2017. Que peut-on négocier ? Tout d’abord et avant tout, la base de données économiques et sociales. C’est désormais l’outil principal de l’information des représentants du personnel. À l’exception des 7 thèmes obligatoires sur les 9 que doit contenir cette base en l’absence d’accord collectif (article L.2312-21 du Code du travail), le contenu des informations à délivrer pour chacun des thèmes peut être défini par accord de manière très libre. Seules les données entrant dans la détermination de l’index d’égalité femmes-hommes ne peuvent être aménagées par accord.

La détermination des informations utiles pour les partenaires sociaux sera sans doute le fruit d’une âpre négociation. Dans bien des cas cependant, l’inadéquation aux besoins de l’entreprise de certaine données à communiquer obligatoirement en l’absence d’accord fera consensus.

L’architecture, le type de support, les modalités d’accès et d’utilisation, le niveau de l’information dans les structures complexes sont également négociables. La détermination des informations à délivrer aux partenaires sociaux dans le cadre des négociations annuelles obligatoires ou bien l’encadrement des informations en cas de consultation ponctuelle du comité social et économique, comme en cas de modification importante de l’organisation économique et opérationnelle de l’entreprise (article L.2312-21 alinéa 5 du Code du travail).

Le contenu des informations alimentant les consultations annuelles récurrentes du CSE peut être discuté en conservant toutefois pour chacun des 3 thèmes ce qui fait l’objet même de la consultation. Ainsi les parties à l’accord pourront décider de ne traiter que des orientations stratégiques sans porter sur leurs effets prévisibles sur l’emploi, l’évolution des parcours professionnels, quitte il est vrai à perdre le sens de cette consultation. Il en va de même en ce qui concerne la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi ou la situation économique et financière de l’entreprise. La négociation du contenu de l’information au soutien de ces consultations qui est également possible revêt un caractère stratégique. Une lecture attentive des textes s’impose notamment pour déterminer lesquelles des informations contenues dans la BDDES devront être utilisées ainsi que celles propres à chaque consultation qui devront être communiquées en complément de la base.

Enfin, les modalités de fonctionnement des instances (nombre de réunions, recours à la visioconférence) et de remise des avis (délais de consultation, avis unique sur toute ou partie des consultations annuelles récurrentes) sont également ouvertes à la discussion. Quand négocier ? Le contenu de la BDES et des modalités de l’information consultation annuelle étant tellement imbriqués, il est fortement recommandé de mêler ces deux sujets au cours d’un même processus de négociation. Une vision d’ensemble permettra également d’identifier plus facilement les points durs et les concessions réalisables. La mise en place du CSE constitue une excellente opportunité de réfléchir et d’avancer sur ces thèmes de négociation. L’agenda et les enjeux propres à la mise en place de l’instance relèguent malheureusement souvent au second plan ces sujets pourtant stratégiques. Comment négocier ? L’accord devra recueillir la signature des organisations syndicales ayant obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections. La préparation et la stratégie de négociation revêtent donc une importance capitale pour ce type d’accord qui oblige les partenaires à trouver un accord majoritaire sans possibilité de recourir au référendum.

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28 – Entreprise & Carrières – n° 1429 du 22 au 28 avril 2019

la chronique juridique

Yvan William

Cabinet d’avocats indépendants en droit social, Ancien DRH et directeur de projet en stratégie sociale

PROPOS DES SALARIÉS SUR FACEBOOK : LES LIMITES DE LA PROTECTION DE L’ENTREPRISE

La surexposition médiatique des entreprises et l’interpénétration croissante des sphères professionnelles et personnelles challengent profondément les modalités classiques de contrôle de l’activité de salariés et de la communication.

Dans l’Entreprise numérique et connectée la communication peut être un avantage compétitif ou au contraire détruire le capital de réputation que l’entreprise aura construite à grand frais.

Depuis le début des années 2010 un contentieux s’est en particulier noué autour de l’utilisation des réseaux sociaux par les salariés et en particulier de Facebook. Ceci s’explique notamment du fait de l’impact et de l’audience de ce média auprès des particuliers mais également des entreprises (33 millions d’utilisateurs de Facebook en France en 2018).

Consulter les contenus à caractères personnels publiés sur le compte Facebook d’un candidat est devenue une pratique courante pour les recruteurs. L’utilisation de telles données est toutefois formellement prohibée par la commission Nationale de l’Informatique et des Libertés.

L’éviction d’un candidat à l’embauche basée uniquement sur la base d’informations personnelles recueillies sur Facebook serait jugée contraire au respect la vie privée voire discriminatoire si elle aboutissait directement ou indirectement à prendre en compte un critère basé sur l’âge, l’orientation sexuelle ou tout autre critère prohibé par l’article L.1132-1 du code du travail.

La question de l’utilisation par l’employeur des données publiées sur le compte Facebook personnel d’un collaborateur pour sanctionner des abus s’avère en revanche plus complexe.

En effet, bien qu’il s’agisse d’un réseau social « ouvert », le compte Facebook personnel d’un salarié peut être couvert par le secret des correspondances privée même s’il contient des propos qui seraient légalement répréhensibles et l’employeur ne peut donc pas s’en prévaloir pour le sanctionne.

C’est en ce sens que la Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment délimité le pouvoir de contrôle et de sanction de l’employeur au regard de propos objectivement abusifs et injurieux tenus par une salariée (arrêt du 12/09/2018, n .°16-11.690).

Dans cette décision les juges ne se prononcent pas sur le caractère abusif des propos tenus par la salariée (propositions «d’extermination des directrices chieuses » pour les termes les plus policés) mais se contentent de constater que les propos litigieux relevait d’une conversation de nature privée. Ils confirment en conséquence sur ce point la décision de la cour d’Appel qui avait jugé le licenciement pour faute grave de cette salariée sans cause réelle et sérieuse.

La même position avait été prise quelques années auparavant (Cassation, première chambre civile, 10/04/2013, n°11-19.530) sur un autre volet de cette affaire qui reposait uniquement sur l’infraction pénale d’injures publiques mais pas sur le licenciement pour faute grave de la même salariée .

Comme dans l’arrêt du 10/04/2013, les juges ont relevé que les propos litigieux avaient été diffusés sur des comptes personnels ouverts par la salariée (MSN et Facebook) mais qu’ils n’étaient accessibles qu’aux seuls personnes agrées par l’intéressée en nombre très restreint (14 personnes).

Pour le moment la Cour de cassation n’a pas décidé de trancher en faveur du caractère public des conversations postées sur Facebook ce qui aurait le mérite de simplifier la preuve du caractère fautif en cas d’abus.

Le risque liée au prononcé d’une sanction en présence de tels propos devra être apprécié cas par cas en fonction des paramètres du compte Facebook (cercle public ou restreint aux amis) du collaborateur incriminé mais également du nombre de personnes abonnés à son compte Facebook, quel que soit le paramétrage retenu (public ou réservé aux amis).

Il n’existe pas à notre connaissance de jurisprudence rendue sur l’action de l’entreprise qui serait intentée sur le fondement de l’infraction d’injures non publiques qui pourrait dans certaines circonstances être utilisée à bon escient.

Comme souvent en matière judiciaire le choix du fondement juridique de l’action intentée et l’analyse précise des faits sera donc primordial.

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29 – Entreprise & Carrières – n° 1425 du 25 au 31 mars 2019

la chronique juridique

Yvan William

Cabinet d’avocats indépendants en droit social, Ancien DRH et directeur de projet en stratégie sociale